Journée d’étude « Trans-immersion »

Le 7 juin 2012
de 9h à 17h
Amphithéâtre Durkheim
17, rue de la Sorbonne, 75005 Paris

Durant la journée d’étude « TRANS-IMMERSION« , Lucile Haute présentera « Disorder Screen Control », performance en environnement mixte réalisée en juin 2011 avec Claire Sistach.

 

 

 

 

 

Le Groupe de Recherche sur l’Anthropologie du Corps et ses Enjeux (GRACE) du Centre d’Étude sur l’Actuel et le Quotidien (CeaQ) organise le 7 juin 2012 une journée d’étude consacrée à la tendance sociétale que l’on désigne par « immersion », qu’elle soit sensorielle et/ou fictionnelle. Il apparait qu’elle concentre de nombreux enjeux : corporels, imaginaires, environnementaux, technologiques, esthétiques, sociétaux… En interrogeant la diversité des modalités immersives selon une approche transversale et transdisciplinaire, nous tenterons de toucher aux motivations sous-jacentes et profondes qui lui sont liées. Tel est le défi que pose la TRANS-IMMERSION.

Organisation : Olivier Sirost et Frédéric Lebas.
Coordination : Chloé Charliac et Wilfried Coussieu.

8h30 –  ACCUEIL COLLATION 

09h00 –  OUVERTURE
Pr Olivier Sirost et Frédéric Lebas

09H15 –  ENJEUX
La trans-immersion
Frédéric Lebas (Université Paris Descartes, CeaQ, GRACE, OMNSH)

09H45 –  QUESTION DE MILIEUX
Immersions sportives : des milieux naturels aux environnements de synthèse
Pr Olivier Sirost (Université de Rouen, CeaQ, GRACE)
Sensorialités métropolitaines
Fabio La Rocca (Université Paris Descartes, CeaQ, GRIS/GRES)
Ces déluges dans lesquels nous baignons. Le bleu du ciel après Fukushima
– recherche conjointe avec la Cie Jours tranquilles, Lausanne –
Yoann Moreau (EHESS, Ethno-dramaturge)

11H15 –  PAUSE 

11h30 –   RÉALITÉS VIRTUELLES, AUGMENTÉES et ALTERNÉES
De Merleau-Ponty à Fumito Ueda : mondes vidéoludiques et conscience perceptive
Wilfried Coussieu (Université Paris Descartes, CeaQ, OMNSH)
Numérique, onirique, organique. De l’aura et autres émersions
Ornella Kyra Pistilli (Université Paris Descartes, CeaQ)
Les ARG comme paradigme de l’immersion : exemple du projet « Les Mystères de la Basilique – Ghost Invaders »
Karleen Groupierre (Université Paris 8, INREV)
Edwige Lelièvre (Université Paris 8, INREV,)

13h00 –  PAUSE REPAS

14h30 –  PERFORMANCES et OEUVRES IMMERSIVES
L’immersion spectaculaire, entre représentation et simulation.
Mcf Catherine Bouko (Université libre de Bruxelles)
L’expérience perceptive de l’espace chorégraphique
Chloé Charliac (Université Paris Descartes, CeaQ, GRACE)
Disorder Screen Control : ou comment habiter un dispositif hybride
Lucile Haute (Plasticienne et performeuse, CIEREC, EnsadLab/EN-ER.)

16h00 –  SYNTHÈSE
Les expériences trans-immersives : une émersion dans le corps en 1ère personne
Pr Bernard Andrieu (Université de Lorraine, Faculté de Sport de Nancy)

PROLÉGOMÈNES À LA JOURNÉE D’ÉTUDE

La notion d’immersion a connu un essor sans précédent pour s’imposer dans la description contextuelle d’expériences extrêmement hétérogènes et variées.

Selon son étymologie première, le terme immersio signifie l’acte de plonger dans l’eau ou dans la terre, et fut couramment employé en anthropologie pour désigner l’acte de se situer dans un milieu culturel et linguistique étranger au sien. Lors des années 80 et 90, l’immersion a subi un véritable éclatement de sens lorsqu’il fut employé dans le champ des NTIC pour désigner la plongée dans un système de réalité virtuelle et/ou augmentée (Dictionnaire des arts médiatiques), puis, lorsqu’il qualifia l’investissement et l’imprégnation d’un sujet lecteur et/ou joueur aux mondes fictionnels et vidéoludiques (J.-M. Schaeffer et M. Triclot). Depuis, ces « espèces d’espaces » (G. Perec) et « vies dans les plis »
(H. Michaux) expérientielles ne cessent de se démultiplier – à force de prendre conscience de ceux-ci on cherche continuellement à les investir, à les habiter –
pour envelopper et encapsuler l’immersant (C. Davies) selon le gradiant d’implication exigé et selon sa propre réceptivité, dans différents environnements de réalités fictives et/ou sensorielles. L’ampleur que l’on peut actuellement concéder à ce qu’est l’immersion est vaste, et renvoie à la richesse et à la diversité de l’imaginaire humain, celles-ci allant du simulateur de vol aux Alternate Reality Game (ARG), passant par la lecture d’un récit de fiction, les jeux-vidéos, les mondes persistants en ligne, les CAVE, le cinéma 3D, la vidéo, les installations en art contemporain, la performance, la danse, le théâtre, le jeux de rôle grandeur nature (GN), le sport (extrême), la flânerie, les dérives psycho-géographiques, l’architecture, les parcs d’attraction, la vie urbaine en général, les catastrophes, la monstruosité, le genre, l’hybridité… Enfin, l’immersion qui semble première et fondatrice : l’immersion dans les éléments de la nature « pour se régénérer » selon H.D. Thoreau.

Il est à préciser que cette polysémie d’engagements considérés comme immersifs n’aurait sans doute pu être appréhendée au finement sans le soutient de la posture d’être au monde esquissée par les phénoménologues qui, d’E. Husserl à M. Ponty, passant par M. Heidegger ou M. Henry, se sont attachés à s’immerger dans l’expérience, quelle qu’elles soient, afin de tenter, par aperception et introspection, la saisie de celle-ci. Par ailleurs si l’on suit la tradition allemande, il faut souligner la posture romantique du sublime (E. Burke et E. Kant) dont l’une des émanations déterminantes fut la Gesamkunstwerk, l’œuvre d’art totale (G. R. Wagner), pour inspirer un courant majeur dans l’histoire du champs de l’art et des arts appliqués : le Bauhaus (W. Gropius, W. Kandinsky, O. Schlemmer…).

Nos sociétés contemporaines ont ainsi développé cette aptitude toute singulière à sécréter une multiplicité de sphères immersives, plus ou moins vastes, à l’image du brassement de l’eau de mer s’amalgamant avec toutes sortes de matières résiduelles pour former l’écume (P. Sloterdjik). Souvent vécues dans l’alternance, ces matrices expérientielles dotées de frontières ne sont pas pour autant séparées, elles sont poreuses, elles s’enchâssent – il y a ici l’idée du chiasme pontien – les unes aux autres. L’une des expressions métaphoriques la plus juste pour comprendre cette perméabilité des mondes, ou multivers (M. Moorcook), est certainement celle de l’effet tunnel, lorsqu’un objet quantique est en mesure de traverser une barrière potentielle. De cette « immersion chaosmique » (G. Deleuze et F. Guattari), nous invitant à pénétrer au cœur de l’indétermination du chaos, et ce faisant, à toucher la complexité (E. Morin), on ne peut que constater un fait pour le moins déstabilisant, mettant à mal nos certitudes les plus ancrées : ce qui semblait immuable, en tant que principe de fondation de l’être arrimé par ses propres certitudes et principes de réalité, est sans cesse remis en question par l’ouverture d’un champ de possibilités quasi-infini permettant de redoubler nos expériences bio-subjectives en tant que 1ère et 3ème personne (B. Andrieu).

Du point de vue corporel ces immersions ordonnanceraient et requalifieraient l’ensemble de nos sensorialités (O. Sirost), et concourraient aux processus d’hybridation et de mutation (B. Andrieu) déjà engagés. L’ensemble de ces dispositifs faisant l’objet d’un design, d’une ergonomie, d’une narratologie, plus généralement d’une esthétique – plan de composition de la matière – va conformer par adaptation, spécialiser et temporaliser en terme de durée
(H. Bergson) l’ensemble de nos sensorialités.

Fort de ce constat, nous proposons de diviser en deux moments fondateurs le principe d’immersion, deux moments gigognes pour ainsi dire, encapsulant le vécu de nos existences, qui dessineraient les contours de ce que nous définissons par l’« être-là du dispositif » pris au sens large du terme (M. Foucault et G. Agamben).

Le premier moment consiste à désirer immerger le corps au sein d’un dispositif environnemental, scénique et interactif – multi et transmédiatique – dans lequel les sens – principalement la vue, l’ouïe, le toucher et la kinesthésie – sont sollicités et contrôlés. Ces dispositifs jouent sur l’illusion de téléporter le corps dans un environnement matriciel et fictionnel autre, dans lequel le sujet est en posture de réception somatique. Ici il y aurait une tentative de substituer un environnement par un autre, mais cette substitution peut être « totale » en transparence avec la réalité, ou « partielle », et jouer sur la confusion et le dépassement déjà consommé entre réel et virtuel afin de créer des réalités augmentées (RA) et/ou alternées (AR). Selon les dispositifs engagés et le type de sollicitation recherché, il apparait une grammaire (des interfaces, des procédés esthétiques…) de l’œuvre immersive mettre à jour, car c’est en partie grâce à elle que la fluidité d’une immersion à l’autre est rendue possible.

Le second moment est celui de désirer incarner, ou endosser, un autre corps que le sien, pour une communication inter et transcorporelle (B. Andrieu).
Arthur Rimbaud affirmait dans la Lettre à Georges Izambard que « Je est un autre ». À sa suite, nous complétons son affirmation par « Je est un autre corps que le sien ». Outre le fait que l’on pense à l’engagement intradiégétique (É. Souriau) du lecteur dans un roman, ou du processus d’identification/projection affectuel (E. Morin), il semble nécessaire de reconsidérer cet engagement à l’aune des productions cinématographiques et vidéoludiques qui usent abondamment de ce que l’on désigne par le point de vue subjectif (POV, Gonzo…). Ici on voit bien se dessiner une existence « avatarisée » où le sujet et ses représentations du corps se diffractent (W. Coussieu). Cette propension irait de pair avec une diversification et une spécialisation des interfaces visuelles (écrans et lunettes 3D, casque de vision stéréoscopique) et haptiques (retour de force, intégration d’algorithmes moteurs…), ainsi qu’un affinement de la sensibilité dans la restitution des sensations intracorporelles par des procédés cinématographiques, graphiques, sonores et haptiques. Tous ces éléments concourent à raffermir le principe de synesthésie, de correspondance entre les sens. À cela s’ajouterait le phénomène d’extra-sensorialité, en d’autres termes, l’acquis d’une ubiquité corporelle offrant l’opportunité, par exemple, de passer d’un corps à l’autre, jusqu’à, dans une certaine mesure, développer une pensée du corps décorporéisée et éclatée (Organes-sans-corps) de type zombie (P. Cassou-Noguès).

Ce principe d’immersion soulève un enjeu majeur dont on ne suspecte pas encore toute la portée pour accélérer le processus en cours des mutations anthropologiques (posthumanisme, singularité…) En effet, il doit être considéré comme le moteur des tentatives actuelles à vouloir augmenter le champ du « rayonnement », effectif ou potentiel, de l’être humain et participer à la transformation de son Umwelt selon la terminologie de J. V. Uexküll, grand inspirateur de M. Heidegger et G. Deleuze. Ce qui, en soit, nous prépare à la prédication (A. Berque) sensorielle du monde, ou pour le dire autrement, à créer de nouvelles affordances (J.J. Gibson), et mieux encore, à la formation d’énactions inédites (F. Varela).

Ainsi, il apparait que la trans-immersion concentre de nombreux enjeux. Et c’est en prenant à bras le corps tout l’éventail de sa diversité que nous tenterons de toucher à ces motivations sous-jacentes et profondes. Autrement dit au principe de formation (Bildung) de l’« être ensemble » selon le formisme sociologique élaboré par M. Maffesoli.

Tel est le défi que soulève la TRANS-IMMERSION.

les organisateurs